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Palmarès des urgences de La Presse - Encore plus occupées « On n'a pas gagné la bataille »
mercredi 23 avril 2025Les initiatives pour améliorer l’accès aux soins de première ligne n’ont pas suffi à diminuer le taux d’occupation des urgences du Québec en 2024-2025. Plus âgés, plus malades et plus nombreux, les patients ont maintenu une forte pression sur les hôpitaux de la province, révèle notre palmarès. Malgré cette hausse des visites, la performance du réseau est restée stable. Un dossier d’Ariane Lacoursière et de Jean-Hugues Roy.
«On n'a pas gagné la bataille»
Même si les initiatives pour soigner les patients à l’extérieur des hôpitaux se sont multipliées depuis la pandémie au Québec, les malades sont encore très nombreux à se présenter aux urgences. En 2024-2025, plus de 3,7 millions de visites ont été faites dans les salles d’urgence de la province. Un sommet en cinq ans.
« Les gens essayent d’éviter de venir nous voir. Mais ils n’ont pas tous accès à des options de rechange », note la présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec (AMUQ), la Dre Marie-Maud Couture.
Président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, le Dr Gilbert Boucher estime que l’implantation de différentes mesures visant à diminuer les visites aux urgences, comme les guichets d’accès à la première ligne (GAP), a été « à géométrie variable » selon les régions.
Conséquence : les visites ont augmenté d’environ 3 % cette année dans les urgences. « Mais si on n’avait rien fait, ça aurait été de 6 % », estime le Dr Boucher. D’autant plus que l’influenza a frappé fort cette année, dit-il.
La durée moyenne de séjour reste stable
Malgré cette hausse des visites, la durée moyenne de séjour, soit le nombre d’heures qu’un patient passe sur civière aux urgences avant d’obtenir son congé, d’être hospitalisé ou d’être orienté ailleurs, reste stable au Québec. Les hôpitaux de la province obtiennent le même score que l’an dernier (C) dans notre palmarès.
L’an dernier, le ministre de la Santé, Christian Dubé, maintenait l’objectif d’atteindre une durée moyenne de séjour de 15 heures en 2025-2026 (cette cible est de 8 heures au Canada) et de 14 heures en 2026-2027. Ces cibles sont toujours valides. Santé Québec travaille cependant actuellement à établir un plan stratégique qui établira les prochaines cibles.
À Santé Québec, on attribue le résultat de cette année au « travail remarquable » du personnel, médecins et gestionnaires du réseau. « Malgré cette pression accrue sur les urgences, on constate tout de même une baisse de 5000 patients sur civière pour plus de 48 heures », indique l’organisme. Les cas moins urgents, appelés P4-P5 dans le jargon médical, ont aussi consulté moins souvent les salles d’urgence l’an dernier, souligne Santé Québec.
Au cabinet du ministre Dubé, on estime que la « tendance à l’amélioration » de cette année démontre que « le travail de coordination des opérations par Santé Québec commence à porter ses fruits ». L’attachée de presse de M. Dubé, Audrey Noiseux, ajoute que le gouvernement travaille à réduire la pression sur les urgences « en réorganisant la première ligne ». L’objectif étant que chaque Québécois soit pris en charge d’ici l’été 2026.
La Dre Couture affirme que le palmarès des urgences ne reflète pas seulement la performance des urgences, mais bien celle de l’hôpital en entier. Elle dit sentir « un réel souci de Santé Québec de protéger les urgences ». Plusieurs hôpitaux ont implanté des démarches pour améliorer la fluidité. Mais « on n’a pas gagné la bataille », dit la Dre Couture, ajoutant que les urgences ont été « encore congestionnées cette année », surtout à Montréal et dans ses couronnes. « Avec tout ce qui a été mis en place, je me serais attendue à une meilleure performance », affirme-t-elle.
Pour obtenir les notes figurant à notre palmarès, différents critères sont considérés, dont la durée moyenne de séjour sur civière aux urgences. Ces résultats sont pondérés selon certains facteurs, comme le nombre d’hospitalisations et la proportion des personnes âgées de 75 ans et plus. Cette méthodologie a un impact sur les résultats.
Par exemple, l’hôpital Anna-Laberge présente l’une des plus longues durées moyennes de séjour de la province (27 h 6 min). Mais parce que sa clientèle est très âgée (38,5 % de patients de 75 ans et plus) et très lourde (taux d’hospitalisation de 36,7 %), l’établissement obtient tout de même une meilleure note que l’hôpital du Suroît. Cet établissement situé à Salaberry-de-Valleyfield affiche une durée moyenne de séjour plus courte que celle d’Anna-Laberge (23 h 36 min), mais compte beaucoup moins d’aînés (32,8 %) et d’hospitalisations (23 %).
Les hôpitaux psychiatriques, pédiatriques et spécialisés, comme l’Institut de cardiologie de Montréal, ne figurent pas au palmarès de La Presse, car leur mission particulière rend difficile toute comparaison avec les hôpitaux généralistes.
La Presse fait le palmarès des urgences depuis 2005. Après une pause de quatre années en raison de la pandémie de COVID-19, l’exercice a repris l’an dernier avec notre quinzième palmarès des urgences.
Des cas lourds
La Dre Couture remarque que de plus en plus de patients qui se présentent dans les urgences de la province sont « complexes et âgés ». Trop souvent, ceux-ci contribuent sans le vouloir à une « spirale infernale de congestion ». Car durant leur séjour à l’hôpital, plusieurs perdent de leurs capacités physiques ou cognitives.
Le Dr Boucher note que la hausse des visites des aînés aux urgences se manifeste particulièrement chez les plus de 85 ans, qui ont été 15 % plus nombreux à se rendre dans les urgences l’an dernier.
Incapable de retourner à domicile, certains de ces patients peuvent passer des semaines à l’hôpital, le temps d’obtenir une place en CHSLD, dans une ressource intermédiaire, en réadaptation, en hébergement, en santé mentale ou en soins à domicile. C’est ce qu’on appelle dans le jargon des patients en « niveau de soins alternatif » (NSA).
Le 11 avril, près de 2400 patients hospitalisés au Québec étaient considérés comme NSA. Ceux-ci occupaient 14 % de l’ensemble des lits disponibles. Le gouvernement vise un taux de 8 %. Dans certains hôpitaux, comme à Lachine, ce taux atteignait 57 % la semaine dernière (voir autre texte).
« Les patients NSA ont augmenté de 15 % cette année. Ce n’est pas énorme. Mais c’est une goutte d’eau qui s’ajoute dans un verre déjà plein », souligne le Dr Boucher. Selon lui, plusieurs mesures ont été prises dans les hôpitaux du Québec pour améliorer la fluidité hospitalière. Mais avec les coupes dans le réseau de la santé, la « marge de manœuvre » pour trouver des solutions, comme le « temps supplémentaire obligatoire », était « réduite ». « La soupape n’était pas là », dit-il.
Le Dr Boucher estime tout de même que les hôpitaux sont « mieux coordonnés » et que la gestion des lits s’améliore grandement. « Les choses s’améliorent. Mais la demande reste trop forte », résume-t-il.